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Van Houten, le cacao en procès

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20 septembre 2022

Pour un automne des plus gourmands, Gallica a concocté une série de billets dédiés aux chocolateries. Deuxième épisode : Van Houten et le cacao en procès, entre essor des procédés industriels et de la publicité au XIXe siècle – ou comment le chocolat est aujourd’hui présent dans nos placards.

Jeu de l'oie du cacao Van Houten (1899)

Une entreprise à la conquête du monde

Caspardus Van Houten crée une boutique de café et d’épices à Amsterdam qui se tourne en 1815 vers le cacao. Cette petite structure va devenir un grand nom du chocolat. C’est d’abord une affaire familiale : son fils, Conrad (ou Coenraad), le rejoint puis la troisième génération à partir des années 1860 (C.J. Van Houten & Zoon).

Logo de la marque enregistrée en 1896 (aussi en version néerlandaise)

Deux innovations font le succès de la marque. Elles participent à la révolution de la fabrication du chocolat que nous mangeons aujourd’hui. En 1828, la presse hydraulique permet, à chaud, d’extraire le beurre de cacao. Le résidu permet de faire de la poudre de cacao pauvre en beurre. Autre innovation en 1846, le « dutching », une alcalinisation qui permet de mieux mélanger la poudre à l’eau et de diminuer l’amertume. Divers agents alcalins peuvent être ajoutés au cacao comme le carbonate de potassium qui fait parler de lui lors du fameux procès.

 

Prenez du cacao Van Houten ! Détail d'une affiche publicitaire d'A. Willette (1893)

L’entreprise néerlandaise s’impose dans son pays, notamment face aux frères Grootes, « broyeurs » d’épices, de céréales et de lapis-lazuli, qui se tournent ensuite vers le cacao. Elle conquiert ensuite le monde, poussée par l’augmentation de la consommation de cet aliment dans toutes les couches de la société. Il ne s’agit plus d’une boisson de luxe destinée à une élite mais d’un chocolat qui se déguste sous des formes variées (poudre de cacao Van Houten, invention de la tablette par l’Anglais Fry dans les années 1840). Le cacao continue de coûter cher mais la poudre Van Houten permet de le rendre plus accessible. C’est d’ailleurs l’un des arguments de vente de la marque.

 

Publicité pour Van Houten du début du XXe siècle. 

Van Houten se développe à l’international. A partir des années 1860, le conditionnement en boîte de fer blanc permet de renforcer les expéditions vers la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, avant l’installation d’usines dans ces pays. Il permet même d’aller à la conquête du marché américain à partir des années 1880. A tel point qu’à la fin du XIXe siècle, Van Houten est citée dans les dix marques les plus connues aux Etats-Unis, grâce à une publicité offensive.

 

Publicité Van Houten, années 1920-1930. 

 

Van Houten en procès

Face aux succès de Van Houten, les chocolatiers français prennent peur, aussi bien les grandes entreprises comme Menier que la kyrielle de petites fabriques qui existent encore majoritairement à la fin du XIXe siècle. Certains dénoncent « l’invasion étrangère » du cacao Van Houten.

Caricature représentant J. Méline, homme politique déterminant sur les questions agricoles et alimentaires, s'attaquant à Van Houten. 

D’autre part, de nouveaux procédés agroalimentaires se développent. Les produits sont de plus en plus transformés. Certains en profitent pour frauder et vendre des produits dangereux aux classes populaires cherchant une nourriture bon marché. Poussés par le développement de la consommation, les fraudeurs coupent ce produit avec des poudres de farine, de brique, de lentille, sciure de bois etc.  Face à l’augmentation du nombre de malades voire de morts, les Etats réagissent et commencent à légiférer. La poudre de cacao n’y échappe pas.

La multiplication des « scandales alimentaires » et la peur des chocolatiers français face à la concurrence de Van Houten poussent l’Etat à intervenir. Le Parquet de la Seine attaque Van Houten en correctionnelle et l’accuse d’ajouter à sa poudre de cacao des taux de potasse dangereux pour la santé.

En une du journal Le Républicain de Constantine (1889). 

Divers experts se relaient à la barre, notamment des chimistes. Les témoignages sont plutôt en faveur de Van Houten. Pour Armand Gautier, professeur de chimie à la Faculté de médecine, cette baisse de la teneur en beurre de cacao est bénéfique pour la santé. Le cacao est plus digeste. De plus, la potasse fait aussi partie de la composition du pain, du lait, du vin, de la bière etc. Dujardin-Beaumetz de l’Académie de médecine fait aussi un rapport favorable. Brouardel, le doyen de la Faculté de médecine, revient sur ses propos initiaux et déclare qu’il n’y a pas de problème. Face à ces témoignages positifs, l’expert désigné par l’Instruction ne convainc pas.

Cabosses de cacao photographiées au Jardin colonial de Nogent-sur-Marne (1902). 

Bardy, expert chimiste auprès du tribunal, argue en faveur de Van Houten. Il pense que ce cacao ne représente aucun danger et qu’en enlevant du beurre de cacao, il devient mieux assimilable. Il déclare : « Je ne digère pas le chocolat et je digère le cacao Van Houten ». Finalement, la bonne formule percutante semble l’emporter dans les débats puis dans la presse

Intérieur du pavillon Van Houten à l'Exposition universelle de 1889.

Van Houten gagne le procès mais la guerre n’est pas finie ; les débats nationaux ou internationaux entre fabricants de chocolat continuent, notamment lors des Congrès sur la répression des fraudes alimentaires.
La firme néerlandaise continue les recherches sur les ajouts à ses produits. Dans l’Entre-deux-guerres, elle isole la vitamine D avec les laboratoires Philips. Van Houten crée un chocolat « vitamisé », les tablettes Dohyfral, pour lutter contre le rachitisme, un des problèmes de santé publique à l’époque.

Le procès de 1893 est utilisé par Van Houten dans sa publicité : Adolphe Willette montre en 1894 un Espagnol, symbole du chocolat, qui s’attaque à une innocente Hollandaise, heureusement défendue par la loi.

Campagne publicitaire "Demandez chez votre épicier le cacao Van Houten" suite au procès par A. Willette (1894). 

Van Houten répond aussi en dessins à ses détracteurs. Ce procès influe sur la communication de la marque. L’entreprise va mettre en valeur le côté digeste de sa poudre de cacao. A l’époque, le chocolat est vanté comme bon pour la santé et se vend aussi en pharmacie.

Publicité parue dans Le Journal du Midi (1888).
 

 Une publicité conquérante.

Pour asseoir sa marque, ou plutôt ses marques (chocolat Rona), Van Houten multiplie les publicités sur divers supports. Certains pestent contre la multiplication des « affiches criardes » sur les murs et les tramways

Affiche publicitaire pour Van Houten conservée à la Bibliothèque Forney (Paris)

S’adressant aux enfants, l’entreprise crée des jeux. Les emballages renferment des cartes à collectionner comme nous le voyons encore aujourd’hui. Van Houten crée aussi un jeu de l’oie où l’image de la marque se déploie. « La Prison pour les contrefacteurs » attend le joueur malchanceux. 

Jeu de l'oie créé pour Van Houten (1899)

Sous le jeu, le « meilleur de tous les chocolats » montre la ville de Weesp, au sud-est d’Amsterdam, où la fabrique néerlandaise est installée : grâce à l’arrivée de Van Houten, ce village se mue en une cité élégante qui déborde d’activités. 

La marque néerlandaise s’adresse aussi aux ménagères en leur proposant diverses recettes à base de cacao Van Houten. Le flan japonais à base de « colle du Japon » (l’agar agar), le pudding au cacao ou une boisson, la bavaroise, sont censés convaincre les cuisinières d’acheter le chocolat.

Van Houten participe à de grands rassemblements pour faire connaître sa marque. Elle a son pavillon à l’Exposition universelle de 1889 à Paris où chacun peut déguster un chocolat. Le style architectural fait référence aux Pays-Bas, comme certaines des publicités de la marque. Elle organise une fête à Weesp pour le centenaire de l’invention de la presse hydraulique séparant le beurre de cacao.

Vue extérieure du pavillon Van Houten pour l'exposition universelle de 1889, parue dans Le Panthéon de l'Industrie

Van Houten utilise très tôt le cinéma, dès 1899, dans un film publicitaire où un employé est revigoré après avoir bu son cacao.

La marque, participant au développement du marketing, est citée par le Russe Maïakovski dans un de ses poèmes, Le Nuage en pantalon. Il y évoque l’histoire d’un condamné à mort qui crie, contre rémunération, «  Buvez du cacao Van Houten » au public rassemblé lors de son exécution. Anecdote impossible à vérifier d’autant qu’elle apparaît avant pour d’autres marques (chocolat Perkins), elle montre néanmoins que, pour certains, l’entreprise est prête à tout pour faire connaître son nom.

Van Houten est très présent via la publicité et s’invite durablement sur les tables.

 

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