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Les Saint-Simoniennes

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Au XIXe siècle, le patriarcat renforce son appareil par des lois sexistes et des arguments pseudo-scientifiques, et l’infériorité de « la » femme est une évidence pour tous... sauf pour les saint-simoniennes ! Considérées comme les premières féministes, leurs écrits sont d'une déroutante modernité.

 
Théorisé par Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon dans son ouvrage Le Nouveau christianisme paru à sa mort en 1825, le saint-simonisme est, avec le fouriérisme (du nom de son fondateur Charles Fourier), l’un des deux mouvements socialistes majeurs – dits « utopiques »- du XIXe siècle. Dans cette nouvelle religion qui prétend non à l’égalité mais à la complémentarité des sexes, les femmes ont une importance théorique spéciale en raison de qualités qu’on leur suppose naturelles, telles que la capacité d’enseigner, la maternité, la douceur et la séduction, que les dirigeants saint-simoniens encouragent à utiliser pour recruter des adeptes. L’amour libre fait aussi partie de la doctrine, qui revalorise la matérialité de la chair. Enfin, les saint-simoniens et les saint-simoniennes croient à l’existence d’une « femme-messie » à la recherche de laquelle partira Suzanne Voilquin, lors de son voyage en Égypte

C’est au nom de cette femme-messie, mais surtout à cause des divisions et de l’effroi que provoquait l’éventualité de la libération des femmes, auxquels s’ajoutaient une forte pression policière, que les dirigeants saint-simoniens, dont le principal était le Père Enfantin (de son vrai nom Prosper Enfantin), ont en 1832 brutalement écarté les femmes de leur hiérarchie, se retranchant entre hommes lors de l’épisode de la retraite de Ménilmontant. Le mouvement saint-simonien fut officiellement dissout en août 1832, mais ses idées continuèrent de vivre et d’influencer tout le XIXe siècle.
 

  
Certaines saint-simoniennes décidèrent alors de fonder leurs propres journaux. Sans rompre avec les idées, ni Enfantin, elles créent ainsi un lieu d’expression parallèle, par des femmes à destination des femmes, comme Eugénie Niboyet avec Le Conseiller des femmes, fondé en 1833 mais aussi, avant cela, par des ouvrières à destination des ouvrières, comme Jeanne-Désirée Véret (aussi connue sous le nom de Désirée Gay) et Marie-Reine Guindorf, respectivement couturière et brodeuse.
 

Ces dernières fondent en 1832 La Femme Libre, aussi connu sous le nom de L’Apostolat des femmes, La Femme nouvelle, etc. le titre ayant varié environ une dizaine de fois. Ce journal novateur, dont l’initiative féministe connaîtra une influence durable, s’adresse aux ouvrières et aux femmes en général, en portant un discours favorable à l’amour libre, au divorce, et à la sororité. Les rédactrices signent de leur prénom, souvent augmenté d’un autre, chrétien, qu’elles se sont choisies. Ainsi, Reine Guindorf signe-t-elle « Marie-Reine », Désirée Véret, « Jeanne-Désirée » et Suzanne Voilquin simplement « Suzanne ». Il s’agit pour elles de se réapproprier leur identité, puisque leur prénom est le seul qui leur appartienne en propre, leur nom de famille étant celui de leur père ou de leur mari. 
 

 
D’autres mèneront des initiatives similaires, comme Eugénie Niboyet que nous avons déjà mentionnée. Cette saint-simonienne d’origine bourgeoise a dirigé de nombreux journaux, et parmi eux, La Voix des femmes, fondé en février 1848 en même temps qu’un cercle féministe, le Club des Femmes, qui sera la cible de caricatures de Daumier dans une série intitulée Les Divorceuses (ci-dessus) parue dans le Charivari. Le club et le journal seront dissous en juin 1848 à la suite de l’interdiction des clubs de femmes.
 

 
En effet, à cette période, l’image de la femme libre effraie, comme en témoignent les caricatures qui abondent, au même titre que celles qui concernent les « bas-bleus », ces femmes qui osent être lettrées.
Si ces initiatives furent de courte durée, elles restent marquantes par leur avant-gardisme, qui provoquera nombre de polémiques en leur temps, et fascinera – surtout l’expérience de La Femme libre – les féministes des années 1970.
 

 

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